À la recherche d’une propriété familièrement étrangère – Témoignage de Quentin

En deuxième année de Master, j’ai décidé d’emprunter la voie de l’originalité avec un parcours qui l’est moins : la recherche. En effet, la rédaction d’un mémoire fait aujourd’hui pâle figure face à la possibilité, après 4 ans de bons et loyaux services à l’Université, de commencer dans la vie active par l’apprentissage. Néanmoins, la rédaction d’un mémoire est une expérience enrichissante et très intéressante. J’espère que ce texte arrivera à rendre compte de ce que constitue la rédaction d’un mémoire avec les avantages, les découvertes et les erreurs, les périodes de doute et celles heureuses, en somme, j’espère vous témoigner avec justesse du parcours recherche.

Un mémoire ce n’est finalement qu’une grosse dissertation. L’objectif est de répondre à une problématique juridique en exposant un raisonnement logique et scientifique. C’est un exercice où la sensation première est, la liberté. Celle-ci se manifeste tout au long du processus d’élaboration du mémoire et la première de ces manifestations est la suivante : le choix du sujet. Pour la première fois de votre vie universitaire, vous n’êtes contraint par rien ni personne. On peut prendre n’importe quel sujet pourvu qu’il soit juridique. Personnellement, j’ai choisi pour sujet « la fonction sociale de la propriété ». C’est une théorie qui a été développée au début du XXe siècle par l’immense Léon Duguit. Ce sujet m’est apparu comme une évidence, car la propriété est un thème qui m’a toujours passionné tant d’un point de vue purement juridique que politique. Cette théorie, je ne la connaissais que depuis quelques mois. C’était Monsieur Brunet, qui enseignait alors le droit de la concurrence, qui en avait parlé très rapidement en cours. L’intitulé de celle-ci m’avait frappé, j’ai alors commencé à me renseigner et j’ai décidé de la garder en tête pour mon mémoire.

La deuxième étape : la recherche d’un directeur. Trouver un directeur peut paraître, au départ, très compliqué, en réalité, ce ne l’est pas. Le directeur de votre mémoire doit, au moins, avoir une certaine proximité avec votre thème de recherche. Soit c’est une matière qu’il enseigne, soit il a déjà écrit sur le sujet ou cela ne peut qu’être qu’un sujet qu’il a déjà exploré par pure envie personnelle. N’ayez pas peur et demandez aux enseignants s’ils sont compétents pour votre sujet. S’ils vous répondent non, ils vous dirigeront vers quelqu’un qu’ils estiment adapté pour vous. Ils sont là pour vous aider. Personnellement, Monsieur Deroche avait déjà écrit sur le sujet de la fonction sociale de la propriété, il est donc apparu comme une évidence. Je tiens à vous faire une petite précision. Si vous ambitionnez de poursuivre en thèse à l’issue de votre master, il est plus « stratégique » de trouver à la fois un sujet et un directeur avec lesquels vous vous sentez à l’aise et motivé pour continuer en doctorat. Cela n’engage à rien, mais, si votre sujet de mémoire est votre futur sujet de thèse, vous gagnez en quelque sorte, une année. Cependant, vous pouvez parfaitement traiter un sujet qui n’est pas celui que vous avez envie de faire en thèse tout simplement, car il vous fait plaisir.

Avec Monsieur Deroche, nous nous sommes rencontrés assez régulièrement. Il a été un formidable directeur que je ne peux que vous recommander. Pour me mettre en selle, après s’être fixé sur le sujet de la fonction sociale de la propriété dans la théorie de Léon Duguit, il m’a envoyé une bibliographie sommaire de quelques ouvrages. On part de zéro et de livres en livres, on se perd facilement. On navigue dans un flot incessant d’informations qui nous paraissent impossibles à déchiffrer, car elles sont à la fois complexes et en trop grand nombre. J’ai beaucoup douté et par moment, ce fut assez dur. Personnellement, je me questionnais sur ma légitimité à commenter, voire critiquer, un juriste tel que Léon Duguit alors que je n’étais qu’un petit étudiant. Gardez à l’esprit que si d’autres y sont arrivés, vous pouvez aussi le faire. La formation qui nous a été proposée en licence et en master est amplement suffisante pour arriver à produire un travail avec une valeur académique acceptable. Vous êtes compétents et légitimes pour commenter tant que vous le faites avec la rigueur scientifique qui vous est imposée.

Avant de vous parler des débouchées possible suite à un mémoire, je tenais à vous présenter un planning. Le travail de recherche est une expérience personnelle et quasi-exclusivement solitaire. Vous êtes votre propre horloge, vous travaillez quand vous le souhaitez. C’est assez compliqué comme situation. Vous allez devoir avoir une bonne organisation, et surtout, une excellente discipline. Le premier semestre, je l’ai passé à essentiellement lire de la littérature scientifique sur mon sujet. Je débroussaillais celui-ci, j’essayais de voir ce qu’il impliquait, les grandes idées dont je devais parler, les auteurs incontournables, etc. Je suis resté superficiel. Je lisais activement (en prenant des notes) mais je n’étais pas encore dans la construction d’un raisonnement.

Au début du second semestre, je me suis confronté à l’étape complexe mais terriblement importante : l’élaboration d’un plan. Pour cette étape, vous devez souvent communiquer avec votre directeur. Vous lui proposez un plan, qui devrait avoir pour objet d’exposer votre raisonnement, votre réponse à la problématique, votre démonstration. Lorsque vous avez votre plan validé par votre directeur, j’ai envie de vous dire que le plus dur est fait. Il ne vous restera plus qu’à rédiger. Normalement vous devriez disposer de 3 à 5 mois pour le faire. C’est court mais suffisant pour rendre un travail entre 60 et 100 pages (ceci est à voir avec votre directeur).

Enfin, dernière étape, la soutenance. J’ai eu pour la mienne M. Deroche, mon directeur, et M. Brunet, alors mon futur directeur de thèse. J’ai énormément stressé et eu peur en amont de la soutenance. N’ayez crainte, prenez ça comme un échange. Ils ne sont pas là pour vous « casser ». Ce n’est pas un débat mais une discussion. Profitez du moment et soyez fier du travail accompli. La soutenance étant terminée, c’est un sentiment de soulagement, d’accomplissement et de fierté qui m’a parcouru. Le mémoire est un long chemin qui débouche sur un produit fini et physique (un beau petit bouquin) que vous pourrez garder toujours chez vous comme un souvenir de vos années d’étudiant. Le fait de produite un tel travail est gratifiant et je vous souhaite de ressentir les mêmes choses que moi.

Enfin, quels débouchés après un mémoire ? La plus évidente : la thèse. Si vous avez aimé la recherche, la voie de la recherche doctorale est toute trouvée. C’est celle que j’ai empruntée et j’en suis aujourd’hui pleinement satisfait. Cependant, soyez avisé que la thèse n’est pas une voie qui peut être conseillée à tous. Je vous invite donc à vous informer auprès de vos enseignants et des doctorants qui, je l’imagine, serons ravis de vous répondre. La thèse ne vous intéresse pas, mais la recherche si ? Dans ce cas, je vous invite à regarder vers l’administration. En effet, il existe plusieurs postes, particulièrement dans l’administration centrale, où la recherche est un élément prédominant. Sinon, vous pouvez considérer votre mémoire comme une spécialisation. Vous êtes un étudiant complet (grâce au tronc commun du master) avec un domaine d’expertise précis, car votre mémoire portait dessus. Le cas échant, vous pourrez candidater à n’importe quel poste. En effet, le parcours recherche ne vous ferme aucune porte. Vous pouvez aussi bien tenter des concours administratifs, que l’examen d’avocat, devenir contractuel dans l’administration, que partir dans le privé. Avoir fait un mémoire n’est pas un élément négatif, il peut parfaitement être valorisé dans votre recherche professionnelle.

Cher Lecteur, si vous choisissez le parcours recherche, je vous souhaite un bon courage. Ce n’est pas la voie de la facilité, mais je vous garantis que la récompense en vaut la peine.